"La meilleure façon de réaliser ses rêves, c'est de se réveiller!" - Paul Valéry


Thursday, November 1, 2007

Sur la route de la Soie, partie 3 (Route meridionale)

Yarkand est une de ces villes d’Asie centrale comme Samarcande ou Kashgar dont le nom evoque la magie de la route de la Soie. Yarkand a longtemps ete niche au bout d’une importante voie commerciale qui partait de Leh (Inde) et representait un important carrefour marchand pour la region.
Je prends mon bus de Kashgar en fin de matinee pour rejoindre la cite du desert. Mon bus tarde a partir. La route perd vite pied dans le desert, et de superbes tornades jaillissent de part et d’autre de la route. C’est superbe. A l’horizon, on devine les mini tornades qui tourbillonnnent et font s’elever dans les airs le sable brulant du desert. Une d’entre elle traversera la route devant notre bus. Elles se deplacent, aux aleas du vent, sans avoir d’itineraire ou de but. Apres 4h de bus, me voila a Yarkand. Je cherche longtemps un hotel car la plupart ne sont pas ouverts aux etrangers. Je pars ensuite visiter la vieille ville, qui elle a garde son charme d’antan. Nombres d’artisans sont toujours tres actifs dans cette ville et ont garde des methodes de travail ancestrales. Le lendemain, un bus local me mene a Hotan, un trajet long de 6h environ. La ville de Hotan fut jadis un grand centre de negoce. Marchands et negociants quittaient la cite charge de Jade et leurs habitants comptaient parmis les meilleurs fabricants de tapis de toute la Chine. Malheureusement, la ville a beaucoup perdu de son charme. La Chine a beaucoup trop envahie les rues par ici, et je ne trouve aucune raison de m’y attarder. Aussi le lendemain je decide d’entamer le perilleux voyage a travers le desert du Taklamakan. Une route de 600 a 700 km qui traverse le desert du Nord au Sud.
Le desert du Taklamakan est le deuxieme plus grand au monde après le Sahara. Repute mortel a l’epoque de la route de la Soie, il etait contourne par les caravanes, soit par la route de la Soie septentrionale (au nord), soit par la route de la Soie meridionale (au sud, ou je me trouve). Une route initialement cree pour acheminer les resources en petrole puisees dans le desert a ete construite depuis lors. Elle a ete recemment amenagee et ouverte a une circulation limitee. Des bus l’empruntent, le voyage durant pres de 18h pour le traverser. Il arrive frequemment que la circulation soient bloquee pendant plusieurs jours dans le desert a cause de tempetes de sable. Aussi, je prends avec moi de quoi boire et manger pendant plusieurs jours, au cas ou cela devait arriver.
La route qui me mene a Luntai longe tout d’abord le desert, laissant apercevoir de douces dunes qui se dessinent dans la brume de chaleur. De magnifiques tourbillons de poussiere jaune parsement les abords de la route tels des geysers. Au Sud, les pics enneiges des Kunlun surveillent la plaine austere. La route est superbe, sur des kilometres, la monotonie des paysages contraste avec leur originalite. Je contemple un quasi vide qui m’entoure. C’est magique.
La route s’enfonce ensuite doucement dans le desert, laissant apparaître de longues dunes de sable jaune, brulant au soleil. Des chameaux parsement les alentours, certains tentant de traverser devant notre bus.
Lorsque nous penetrons sur la route trans-desert, le bus semble comme immerge dans le sable. Un oasis se dessine pourtant un peu plus loin. Des arbres, des bergers, des moutons et des chevres semblent vivre la, aux abords de la mort. En cet automne, les arbres ont une couleur unique ; un jaune d’un vif rare se degage sur fond de dunes. Le bus avance dans ce decor idyllique, c’est magique. Le soleil au loin tombe et cree une atmosphere particuliere sur les lieux. En se couchant, un ton rouge-orange envahi les dunes de sable qui semblent reigner sur les lieux. Je contemple ces magnifiques paysages qui s’offrent a moi par ma petite fenetre, profitant de ce moment magique. Je suis bien. Le bus avance tout droit, s’aventurant dans l’inhospitalite. La route est parsemee de petits arbres aux tons jaunes pour que le sable n’envahisse la route ; pour que le desert ne reprenne ce qui lui appartient. Cet autoroute plante au milieu des dunes ne semble avoir aucun sens, pourtant je suis heureux de pouvoir m’inisser dans l’intimite de cette merveille. Apres plusieurs heures d’un paysage magique, la nuit tombe, le desert s’endort et je le rejoins bientôt.
Au petit matin je dois reprendre un autre bus qui descend sur Kashgar. Je descends dans la ville peu engageante de Luntai et me rend a l’endroit ou les bus en direction de Kashgar s’arretent pour dejeuner. L’un deux a une place pour moi ! Encore 17h de bus me seront necessaire pour rentrer a Kashgar.
A mon retour a Kashgar, je rentre me reposer dans une petite guest house de la ville et me regaler de brochettes d’agneau tendres dans une brasserie ou j’ai l’habitude d’aller.
Le lendemain, comme tous les dimanches, un des marches les plus etonnants d’Asie centrale se deroule a Kashgar. 50 000 ames affluent de toute la region vers la cite pour vendre ou acheter fruits, legumes, animaux, vetements, caincallerie,…le tout dans un vacarme et une agitation sans pareil. Je me dirige le matin tot vers le sud-est de la ville, ou a lieu le traditionnel marche aux bestiaux. Sur la route, une maree de pietons, de chevaux, de velos, de motos, de carrioles a anes, de camions et de tricycles a moteurs submergent les alentours. Sur le bas cote, de vieux Ouighours au dos voute conduisent des carrioles branlantes a laquelle sont attelees vaches, moutons ou chevres. D’autres, arrivent avec des chameaux en laisse, tous bien decides a vendre leurs petits proteges a un bon prix ! A l’interieur du marche, l’agitation bat son plein. Acheteurs et vendeurs potentiels se cotoient dans la frenesie et le vacarme incessant des negociations et des bruits des animaux. Le tout resonnant de ‘Boish Boish’ (chaud devant). Je me glisse tant bien que mal dans cette liasse, slalomant entre vaches, moutons et chameaux. Derriere, l’endroit est reserve aux chevaux. Ici, acheteurs potentiels ‘essaient’ les chevaux, anes et autres carrioles. De petits Ouighours trapus font parader leur jeune monture en laisse, bien decides a prouver la qualite de leur animal ! Acheteurs de tous bords examinent la dentition des moutons et placent les encheres ! Les negociations en cours attirent les curieux qui n’ont pas encore trouve leur bonheur. Les acheteurs sortent de grosses liasses de billet pour aguicher les vendeurs et on glisse les billets dans la main avant de tenter de conclure par une poignee de main. Certains vendeurs sont tetus et ne se font pas avoir par ce genre d’astuce ; d’autres craquent a un prix inferieur en voyant les billets s’accumuler un a un dans leurs mains. Dans le brouhaha des negociations, les amis conseillent les acheteurs dans des messes basses avant de les renvoyer a l’attaque!
Je me plais a errer dans ce marche et observer ce spectacle unique. Je suis frappe par tout cet argent liquide qui coule a flot et la confiance qui reigne dans chaque coin du marche. Aucun vol, aucune arnaque ne semble se profiler a l’horizon. Les transactions se font et se defont dans la bonne humeur et la franche rigolade. L’agitation battra son plein jusqu’en debut d’apres-midi. Le marche se vide alors doucement, laissant ses acteurs reprendre la route. Certains avec des animaux en moins, et d’autres avec des animaux en plus. Les plus mal chanceux repartant avec toutes leurs betes… Les transactions continuent pourtant jusqu’au soleil couchant, le moment pour moi de quitter egalement les lieux.
Le lendemain je pars me promener dans la magnifique vieille ville de Kashgar. J’aime cette ville. On peut y ressentir l’ame Ouighour a chaque coin de rue. Je me faufile dans ses vielles rues bordees de maisons de terre et de paille. La ville est bercee par le bruit incessant des outils d’antan. Forgerons, dinandiers et cordonniers travaillent avec les outils d’autrefois. Il reigne une atmosphere particuliere dans la cite. Kashgar invite a elle seule a la flanerie, et je me plais a me perdre dans ses petites ruelles etroites et sombres. Au detour d’une ruelle, de vieux Ouighours sortent de la petite mosquee de quartier tandis que de jeunes enfants s’amusent avec des jouets en bois que l’ebeniste leur a concocte. Toute la vielle cite semble vivre a une epoque revolue. Un charme particulier se degage ici. Au detour d’une petite rue, je rends visite au barbier de quartier. L’homme semble quelque peu surpris de ma venue. Il a un petit fond de commerce exigue, ou seul une chaise trone. Devant, un miroir et une etagere pleine de mousses a raser me font face. Je m’installe sur le siege confortable et attend patiemment que l’homme commence. Quel regal ! Le barbier passe et repasse des produits dont il est le seul a connaître le secret et me masse les pommettes ! Apres quelques minutes de pur bonheur, il applique la mousse a raser. L’homme s’execute avec une dexterite etonnante, c’est un regal ! Apres 5 bonnes minutes, je suis rase comme jamais ! Une couche d’apres rasage sur la peau et me voila comme neuf !
Le lendemain matin, je prendrai une voiture tot qui me mene a la frontiere sino-Kyrgyz, au col d’Irkeshtam, a plus de 4000m. De la, je passerai la frontiere a pied.
Je sais qu’une longue journee m’attend.

Les delicieuses brochettes de Kashgar, Chine

Arbres au jaune vif dans le desert du Taklamakan, Chine

Vieil Ouighour, marche de Kashgar, Chine

Petite famille Ouighour avec…leur fille !!, Kashgar, Chine

Piments seches, marche de Kashgar, Chine

Vendeur de choux, marche de Kashgar, Chine

Vieux vendeur de moutons, marche de Kashgar, Chine

Boucher de rue, marche de Kashgar, Chine

Desert du Taklamakan, Chine

Vieil Ouighour en negociation au marche de Kashgar, Chine

Tondeur de moutons, marche de Kashgar, Chine

Moutons attendant preneur, marche de Kashgar, Chine

Ouighour qui remballe sa marchandise, marche de Kashgar, Chine

Desert du Taklamakan, Chine

Vieil Ouighour sur le marche, Kashgar, Chine

Messe basse, marche de Kashgar, Chine

Vieil Ouighour attendant un client pour ses betes, marche de Kashgar, Chine

Jeune Ouighour venu avec son pere vendre deux vaches, marche de Kashgar, Chine

Jeune vendeur d’epices, Kashgar, Chine

J’aime beaucoup cette photo. Vieil Ouighour
sur le marche aux chevaux, Kashgar, Chine

Poivrons rouges, marche de Kashgar, Chine

Marche de Kashgar, Chine

Jeune Ouighour, Kashgar, Chine

Minaret de la mosquee Id Kah, Chine

Desert du Taklamakan, Kashgar, Chine

Mosquee Id Kah, Kashgar, Chine

Ouighour au marche de Kashgar, Chine

Sur la route de la Soie, partie 2 (Karakoram Highway)

Le nom de Kashgar evoque toujours l’image d’un oasis perdu aux confins des deserts du Xinjiang, derniere etape avant les pics geles du Karakoram. Brigands du desert, bazars exotiques et soies bariolees viennent a l’esprit lorsque l’on mentionne le nom de la plus occidentale des villes de Chine. Sa population essentiellement formee d’Ouighours, de Kyrgyz, de Tadjiks, d’Ouzbeks et de Chinois en fait un exemple type du melange ethnique du Xinjiang.
J’arrive dans la ville en fin d’apres midi, un peu fatigue par un long voyage de 27h de bus. Je trouve facilement une petite guest house pour passer la nuit avant d’attraper un bus le lendemain qui me mene sur la Karakoram Highway, route de montagne qui relie Kashgar a Islamabad, au Pakistan. Cette route fut sillonnee pendant des siecles par les caravanes de la route de la Soie. Elle franchit le col de Khunjerab (4800m), porte du Pakistan. Khunjarab signifie ‘Vallee du sang’, en reference aux bandits de grand chemin qui profitaient du terrain accidente pour piller les convois et tuer les marchands. La construction de cette route pris plus de 20 ans et couta la vie a plus de 400 ouvriers.
Dans mon bus que j’attrape le matin tot a Kashgar, nombres de Tadjiks rentrent chez eux a Tashkurgan. C’est la derniere ville chinoise avant la frontiere Pakistanaise. C’est aussi une region autonome Tadjik et donc composee essentiellement de Tadjiks. Les Tadjiks sont un peuple a part dans ceux qui composent l’Asie centrale. Ils descendent d’Ariens et le Tadjik est une langue d’origine perse contrairement aux autres peuples d’Asie centrale qui descendent pour la plupart de peuple Mongols et utilisent une langue d’origine Turque. Aussi il n’est pas rare de rencontrer un Tadjik blond aux yeux bleus !
Durant ma montee a Karakul, un vieux Tadjik est assis a cote de moi dans le bus. Lui est brun aux yeux fonces. Difficile de le differencier des Ouighours du bus. Pourtant, il sert fort dans ses bras son petit garcon, blond, aux yeux d’un vert superbe ! La seule distinction que je pourrais faire avec un europeen est peut etre son nez un peu plus evase.
Le bus partira en retard, rempli de Tadjiks et d’Ouighours qui montent a Karakul principalement pour acheter des moutons et des chevres qu’il revendent ensuite dans la capitale.
La montee sera superbe. J’avais lu des dires sur cette route, mais je crois que j’etais loin d’imaginer pareil beaute. La route se glisse tout d’abord aux abords des remparts du Pamir, puis penetre dans les gorges du Ghez, ou de magnifiques falaises de gres rouge bordent la chaussee. La route se faufile ensuite dans d’immenses champs de rochers avant de rejoindre un plateau ou de splendides dunes de sables semblent reigner sur les lieux. Leur beaute est saisissante. Je me trouve a 3000m d’altitude et de magnifique dunes de sable gris et blancs bordent un plateau humide. C’est peut etre l’incoherence de tels paysages a cet endroit qui les rend encore plus beaux ! Le bus traversera ensuite de magnifiques paturages au pied de pics enneiges ou quelques chameaux blancs et gris errent et semblent chercher refuge. Apres 1h de route, j’arrive certainement a l’endroit de montagne le plus beau que je n’ai jamais vu ! Le petit village de Karakul, niche a pres de 3600m d’altitude, aux abords d’un lac d’un bleu turquoise magnifique ; il semble etre garde par deux superbes sommets, le Kongur (7719m) et le Muztag Ata (7550m). L’endroit est extraordinaire. Je n’ai jamais vu pareil beaute en montagne. Au pied de ces deux geants qui ceinturent le lac Karakul, nombres de chameaux et de yacks paturent. Des yourtes kyrgyz parsement les environs et de vieux kyrgyz passent a dos de chameaux dans la plaine fertile.
L’endroit est principalement habite de Kyrgyz, et en marchant le long du lac, je fais tres vite la rencontre d’un jeune Kyrgyz de 19 ans qui revient du village a moto. Il est tres sympathique et lorsque je lui demande ou je pourrais loger pour la nuit, il me dit que je peux passer la nuit chez lui avec sa famille, si je le souhaite. Nous voila en route sur sa moto, direction la yourte de ses parents. A mon arrivee, la mere de famille est assisse pres du poele qui chauffe la piece principale. Elle s’appelle Nusurat. Elle est tres souriante et ne tarde pas a me proposer du the chaud qu’elle vient juste de preparer. Son fils lui explique que je cherche un endroit pour dormir et qu’il m’a propose de rester chez eux. La dame me sourit et m’offre un morceau de pain qu’elle a fait elle-même. Dans la yourte, un vieux poste radio trone sur le seul meuble de la maison. De beaux tapis de couleur vive jonchent le sol et un tas de matelas et de couvertures aux couleurs chatoyantes sont entasses au fond de la piece.
Je sors dans l’apres-midi pour rejoindre les contre-forts du Kongur. La, de petites maisons en pierre abritent des moutons et des chevres. De vieux Kyrgyz, proprietaires des lieux commercent avec des Ouighours montes de Kashgar pour acheter des betes. J’assiste a la scene de negociation et me balade dans les enclos environnants. Les bergers semblent au depart un peu mefiants vis-à-vis de moi, se demandant surement ce que je fais la. Mais apres quelques minutes de presence et de discussion, ils semblent ravis de m’avoir parmis eux. Leur activite premiere consiste a compter les betes, ils les font passer d’un enclos a l’autre en comptant litteralement les moutons devant la porte. Je passe un long moment en leur compagnie, ils sont tous tres gentils et tentent de m’expliquer ce qu’il se passe. J’assiste a la scene en plaisantant avec certains qui aimeraient me voir repartir avec deux betes! Un bon mouton coute entre 30 et 50 euros, et le Ouighours venus sur place inspectent les betes une par une. Tout y passe ! On inspecte les dents, les pates, la laine,.... et les negociations vont bon train ! Apres quelques heures de dur labeur, les hommes tombent enfin d’accord et les Ouighours repartent chacun avec une bonne dizaine de betes.
A la nuit tombee, je rentre a la yourte pour le diner. Au menu dans la petite famille, des nouilles faites maison et de la viande de yack ! C’est excellent ! Cela ressemble un peu a du bœuf en plus goutu. Je me regale. Le pere de famille s’appelle Kocfkan, il est rentre du village ou il s’occupait de ses moutons. Il est tout aussi gentil. Ils ont 3 garcons, Kuwanich l’aine age de 19 ans, Tilawalti 11 ans et Mahamatumar 8 ans. Ils semblent tous adorables. Le diner termine, je sors mon jeu de carte et nous jouons tous les 6 en cercle pres du poele. Il me faut trouver un jeu pas trop complique, ou l’on peut jouer sans trop d’explications. Je propose le pouilleux ! C’est un jeu de hasard ou l’on pioche dans le jeu de l’autre et ou l’on ne doit pas tomber sur une carte donnee. Celui qui a cette carte a la fin de la partie a perdu. Kocfkan me regarde un peu perplexe pendant mes explications mais il comprendra tres vite apres la premiere partie. Nous rigolons bien. Je taquine Nusurat lorsqu’elle pioche dans mon jeu la carte maudite, elle rigole essaie tant bien que mal de la redonner a son mari ! Toute la petite famille s’amuse et se taquine. La fin est du pur hasard et fait jaser ! Les enfants ont un sourire jusqu’aux oreilles. Ce sont ce genre de moments qui m’ont pousse a faire cette si longue route jusque la. Finir apres tant de route dans une yourte, dans une famille Kyrgyz, au fin fond de la Chine, a leur apprendre a jouer au Pouilleux, avouez que ce n’est pas commun !
Apres une bonne heure de franche rigolade, tout le monde va se coucher. Je sors dehors un moment pour me rafraichir un peu et tombe alors nez a nez avec un ciel comme je n’en ai jamais vu ! Des milliers d’etoiles scintillent dans le ciel, et pas l’ombre d’une lumiere! La voie lactee est sublime et toutes les etoiles semblent briller de mille feux. Dans l’obscurite, je devine le Muztag Ata et le Kongur. L’endroit est une sorte de plateau ou le purete du ciel et l’altitude expliquent sans doute un tel ciel. C’est magnifique ! Elles sont si nombreuses. Je resterai un moment a contempler ce superbe ciel, berce par un petit vent siberien, qui me pousse bientôt a regagner la yourte.
Le lendemain matin, yaourt au lait de yack et the chaud au menu du petit dejeuner, le yaourt est excellent, frais et peu sucre. Vers 8h, Nusurat appelle les yacks devant la yourte. Ceux-ci accourent pour se faire traire. Nusurat utilise le lait de yacks pour le the ou pour faire son yaourt. Je l’observe s’executer sur son un petit tabouret de bois branlant devant le magnifique lac karakul. Derriere elle, l’imposant Kongur domine et a droite, le Muztag Ata reigne en maitre. Il est sublime. C’est mon prefere des deux sommets. Sa pente douce qui contraste avec sa masse invite a l’ascension. Il semble etre le gardien des lieux, sur et impassible.
Je me promenerai toute la journee autour du lac, et dans les prairies parsemees de yacks et de chameaux avant de m’eclipser une journee a Tashkurgan, plus haut sur la route du Karakorum. La route qui mene a l’enclave Tadjiks contourne les superbes contre-forts du Muztag Ata, et passe un col de 4800m environ avant de rejoindre la cite.
Dans le bus qui me mene au fief Tadjik, je fais route avec 3 Ouighours, montes de Kashgar pour garder des moutons dans les hauts plateaux du Pamir. Plus loin, nombre de Tadjiks attendent patiemment d’arriver. Ils reperent alors mon appareil photo et s’empressent de me demander de l’essayer. Je leur confie alors, le cœur serre. J’ai une seule hantise, qu’il ne leur echappe des mains ! La scene me fait rire. L’un deux le tient a l’endroit et appuis sur tous les boutons possibles, avec le sourire ! J’essaie tant bien que mal de lui expliquer que je n’ai plus de batterie. Je la sorts alors de son compartiment puis l’y replace. Aussitôt l’appareil revenu dans ses mains, le vieil Ouighour s’empresse de rouvrir l’emplacement et appuie sur la batterie comme declencheur ! Il semble sur de lui ! Je ne peux me retenir de rire. Les Ouighours auscultent l’appareil de fond en comble. Je le vois passer de main en main, hesitantes et maladroites. Je ne suis pas sur de le revoir entier ! Il avance doucement vers l’avant du bus, passant de mains Ouighours en mains Tadjiks, jusqu'à rejoindre les mains d’un vieux Tadjiks a la barbe grisonnante. Il a un magnifique chapeau typique et de beaux yeux bleu clair. Le vieil homme me sourit genereusement depuis l’avant du bus avec ses quelques dents lorsqu’il recoit enfin le precieux sesame. Il ne semble pas plus a l’aise pour manipuler l’engin que ses camarades ! Le vieil homme attrape l’appareil et le tient a l’envers. Il regarde par l’objectif et se plaint aupres de ses camarades de ne rien y voir ! Il tourne alors l’engin mais rien n’y fait ! Je le vois tenter de guigner a travers le viseur et s’exclamer de ne rien voir ! Le scene est unique et me fait rire. L’homme a l’œil rive sur le viseur quand tout a coups, je vois se dessiner sur le vieux visage un magnifique sourire qui me laisse entrevoir quelques dents ! Il a enfin trouve le viseur ! Le vieil homme s’amuse alors avec le zoom, que son camarade avait decouvert avant lui. Il semble heureux comme jamais ! Il me renvoit ensuite le jouet, passant de main en main, en m’eclipsant un large sourire de satisfaction et de fierte. Je recupere l’appareil, en un morceau !
Je passerai une bonne journee dans la derniere ville chinoise, me promenant aux alentours et rencontrant de forts acceuillants Tadjiks. Un vieil homme m’invitera dans sa maison a boire le the, tandis que d’autres seront simplement curieux de ma venue dans un endroit aussi recule. Les femmes Tadjiks portent une coiffe typique qui les distingue des autres femmes d’Asie centrale, leur couleur varie et donne a Tashkurgan un charme particulier. Deux vieux Tadjiks jouent au billard sur la place principale, l’un d’eux tenant sa canne a l’envers, me lance de larges sourire apres chaque coups joue. Je resterai un moment la, assis sur le rebord d’une fenetre, a observer ces deux vieux hommes s’amuser comme des enfants. Il y a dans leurs yeux de la simplicite et une touche de malice. Ils se taquinent tous deux et il semble reigner une forte complicite entre les deux hommes, endurcie par les ages.
Je m’installe le soir venu dans une petite guinguette qui propose des brochettes. Elles sont delicieuses ! La viande est tendre et fond dans la bouche ! Le gras est sale comme il faut et grille a point ! Je me regale ! Et pour quelques centimes d’euros la brochette, je ne me prive pas d’en reprendre ! Le proprietaire des lieux me confiera que la viande vient de la region et se targuera d’avoir la meilleure viande du Xinjiang !
Le lendemain, je reprends mon bus qui me ramene a Karakul, dans ma petite famille Kyrgyz. A mon arrivee, tout le monde est la. Je m’installe discretement pres du poele qui me semble un aubene au vue du froid qui reigne dehors. La petite famille est disposee en cercle autour du lieu de vie. Nusurat enfourne quelques crottes de yacks, utilisees comme comburant pour le poele et discute avec son mari. Aujourd’hui, Mahamatumar a recu 3 bonbons par des Chinois de passage ! Le petit garcon en distribue un a chacun de ses freres aine et chose qui va me surprendre, il n’hesite pas a casser le dernier pour le partager avec moi. Je trouve le geste du petit garcon tres touchant. Je lui dis alors qu’il est pour lui et que je n’en veux pas. Mais le petit bout insiste ! Il est adorable. J’accepte alors, a contre cœur…
Mahamatumar est vraiment chou. C’est mon prefere de la famille. J’ai honnetement rarement vu un enfant de cet age avec une telle education. Il est d’une generosite et d’une gentillesse sans pareil. Il me propose toujours ce qu’il est entrain de manger et veille toujours a ce que je ne manque de rien. Je l’adore. Tous les soirs, nous jouons tous les deux aux voitures. Il a deux petites voitures en plastique et moi je suis le policier qui contrôle ses papiers. Bien sur il n’en a pas, alors il a des problemes. Je lui construis un petit circuit avec le jeu de carte de la famille. Il n’a pas grand-chose pour jouer, et pourtant il joue pendant des heures, avec un sourire jusqu’aux oreilles. On sent qu’il a ete eduque dans l’amour et la generosite. Tous les trois sont d’ailleurs adorables, mais c’est encore plus mignon chez ce bout de chou.
Le soir, autour du poele, Kocfkan lit une revue en chinois, ou plutot il regarde les images car il ne parle pas non plus chinois ! Sur le revers de la couverture, une publicite utilise un cavalier, du style de Napoleon, pour faire l’eloge de la marque. Kocfkan me regarde alors avec un petit sourire en coin et me montre la photo du doigt en s’exclamant sur de lui: ’You !!’. Je le regarde a mon tour et acquiesce en rigolant. Il se met ensuite au travail pour preparer le diner de ce soir. Nusurat me sourit ironiquement, ce soir ce n’est pas elle qui cuisine ! Kocfkan emmince de gros morceaux d’abat de mouton. Tout y est ! Tripes, foie, cœur, pense, et je ne sais quoi ! Ca n’a pas l’air tres appetissant. Nusurat me regarde d’un œil malicieux et s’exclame ‘Mante !’ en rigolant. Je sourit aussi par politesse et n’ose lui avouer que j’ai un peu peur…
Quand vient le moment de gouter, eh bien…ca croque sous la dent ! Mais ce n’est pas mauvais. Le froid m’a donne faim, aussi en reprendrai-je deux fois. Cependant j’avoue que je les aurai bien troque contre un bon plat de nouilles !
Le lendemain matin, je monte avec Kuwanich au glacier du Muztag Ata, a pres de 4800m. Pour cela, nous montons en moto jusqu'à 4000m environ, avant de devoir grimper a pied jusqu’au glacier. Le trajet en moto est grandiose. Nous longeons des paturages de yacks et des chameaux qui bordent le petit village de Karakul, au creux du majestueux sommet, avant d’amorcer la montee sur un chemin difficile ou Kuwanich s’amuse a mettre en valeur ses talents de pilotage. Sur la route, troupeaux de yacks, de moutons et de chevaux arborent le paysage. Apres une bonne heure de route, il nous faut terminer a pied. Dans la montee, je perds Kuwanich, marchant plus vite que lui. Aussi je me retrouve seul en arrivant pres du glacier. J’avoue que cela ne m’enchante guere. Je sais que si je viens a tomber dans une crevasse, personne ne viendra me chercher. En tout cas, me chercher dans l’immensite du lieu serait peine perdue. Aussi je progresse avec la plus grande prudence et ne m’avance que tres peu vers le centre du glacier. A sa vue, sa couleur est superbe ! Un blanc saisissant qui tranche avec le bleu du ciel ! Il est monstrueux et semble aller se perdre au sommet. Je devine le haut du Muztag Ata qui se fond bientôt dans les nuages. Je resterai 2 bonnes heures a contempler cette merveille, calculant chacun de mes pas. Le temps change tres vite a cette altitude, et le ciel bleu que j’avais en arrivant laisse bientôt place a un ciel charge qui emprisonne le haut de la montagne dans le froid. Il est temps pour moi de redescendre et de rejoindre Kuwanich quelque 2h de marche plus bas.
A mon retour a la yourte, je m’en vais me promener au village de Karakul. La-bas, de vieux Kyrgyz viennent se perdre dans les rues ensoleillees du petit village niche au creux du Muztag Ata. Des chameaux et yacks paturent autour et viennent parfois s’aventurer pres de la mosquee de la place principale. La vie bat son plein dans ce petit village ou la cohesion et l’entraide entre les habitants semble reigner.
Au detour d’une rue, je tombe sur un petit negoce de tout et n’importe quoi. Il semble d’ailleurs que ce soit le seul du village ! Denrees alimentaire, pieces de rechanges pour velos et motos, selleries pour chameaux…tout y est ! Y compris des bonbons ! Je m’empresse de ramener un sac rempli de friandises pour Mahamatumar. Sur le chemin, je distribue quelques sucreries a de jeunes enfants qui jouent dans la rue. Leur visage semble rayonner de bonheur a la vue des friandises. A mon arrivee, je fais deviner a Mahamatumar ce que j’ai dans les mains. Le petit garcon tombe sur une sucrerie et explose de joie ! Nusurat sourit egalement et me remercie.
Le soir, nous sommes invites a diner chez les voisins, dans la yourte d’a cote. Quand je dis nous, c’est nous, car je semble maintenant faire partie integrante de la petite famille!
Les voisins habitent une yourte similaire a la notre, situee en contre bas. A notre arrivee dans la piece principale, une grande nappe de couleur a ete depose sur le sol. Dessus, raisins, pasteque, melon, friandises et autres gateaux attendent patiemment preneur. La scene est touchante. Ce qui se trouve sur cette nappe n’aurait peut etre pas beaucoup de valeur chez nous. Mais ici, recule comme nous sommes, du raisin ou du melon sont une denree rare! Aussi je comprends tres vite la valeur qu’a cette tablee pour les deux familles. Cette tablee vaut aisement le plus beau des festins chez nous. Je suis tres touche d’avoir ete invite a ce repas et je mesure a quel point les gens de la region sont acceuillants et genereux.
Au milieu de la nappe, je repere un plat de Mante. J’avoue ne pouvoir en gouter q’un par politesse ! La petite famille voisine est tout aussi adorable. Le pere insiste pour que je reprenne fruits et gateaux et veille a ce que je en manque de rien.
Pour ce qui est de l’invitation, elle ressemble a celles que nous connaissons ; on discute de choses et d’autres, tout en se servant dans le buffet. La petite fille de la famille semble a peine plus jeune que Mahamatumar. Je jouerai une bonne heure avec elle, souriante et mignonne dans sa petite robe a fleurs. Une fois le diner termine et les discussions closes, tout le monde regagne sa yourte pour la nuit.
Dans notre yourte, comme tous les soirs, ca chahute et Nusurat joue les policiers. Kocfkan me fait rire, il semble impassible a tout ce que les enfants peuvent faire. Il semble meme de connivence avec eux ! Apres la rituelle partie de pouilleux du soir, tout le monde s’endort dans la piece commune.
Le lendemain matin, Nusurat a prepare une autre specialite Kyrgyz, le Kattama. C’est une sorte de tarte a pate feuilletee avec de la creme de yack ! C’est delicieux ! J’en mangerai pres d’un quart du plat, a la grande satisfaction de Nusurat. Le petit dejeuner avale, je pars me promener aux alentours du lac et du village, profiter encore de ce petit paradis qui a ete miens pendant pres d’une semaine. Le soir, je dois repartir vers Kashgar. Je dis au revoir a toute la petite famille qui m’a acceuilli comme un des siens pendant pres d’une semaine. Mahamatumar m’offre un beau collier qu’il a depuis longtemps pres de ses jouets. Il est adorable. Je l’accepte volontier, et le garderai en souvenir de mon petit bout.
Les adieux a la petite famille faits, je me poste sur la route pour attraper un bus qui descend a Kashgar. Il n’y en pas beaucoup et apres 2h d’attente dans le froid, il semble que le dernier soit en fait deja passe. Je retourne a la yourte et Mahamatumar en me voyant revenir s’ecrie d’une voix forte et aigue :’Sleeping ??’ et eclate de joie ! Il sait bien que je vais encore jouer aux voitures ce soir avec lui !
Le lendemain matin, j’attrape une voiture d’un kirgyz descendant au marche du dimanche de Kashgar. Je fais cette fois pour de bon mes adieux a tout le monde. Je remercie Nusurat pour sa gentillesse et l’accueil qu’elle m’a reserve. Je suis triste de les laisser. J’ai vecu une semaine magnifique avec eux. Ils m’ont traite comme un membre a part entiere de leur famille et m’ont inisse dans leur vie et dans leur intimite.
Ils m’ont touche au plus profond de mon etre, par leur simplicite et leur generosite. Les choses ont une autre valeur ici, qu’il est bon de gouter parfois pour mieux comprendre ce qui nous entoure. Je sais maintenant a quel point dans la vie, la richesse des gens reside dans leur cœur. Et je sais aussi a quel point les gens les plus riches sont souvent les plus simples.
Ils vont tous me manquer. Mon petit Mahamatumar encore plus ! Je pars triste de quitter cet endroit magique aussi, je me sentais bien la-haut. Je sers une derniere fois mon petit Mahamatumar dans mes bras et monte dans le vehicule. Je fais de petits signes a travers la vitre a tout le monde, leur promettant de revenir un jour. Je suis emu.
Je sais aujourd’hui qu’il y a quelque part au fin fond de la Chine, sur la route du Pakistan, dans une yourte, une famille Kyrgyz qui joue tous les soirs au pouilleux grâce a moi. Et ca, ca me remet le sourire!
J’arrive a Kashgar en debut d’apres-midi. Le lendemain, je partirai sur la route septentrionale de la soie pendant 4 jours, gagant Yarkand et Hotan, puis empruntant la route trans-desert qui traverse du Nord au Sud l’immense desert du Taklamakan.

Dans la montee a Karakul, Karakoram Highway, Chine

Kocfkan dans la yourte, Karakul, Chine

Aux abords des dunes de sable, Karakoram Highway, Chine

Chameau en paturage, Karakul, Chine

Kyrgyz et Ouighour en grande negociation, Karakul, Chine

Chevres dans leur enclos, Karakul, Chine

Le Kongur (7719m), Karakul, Chine

Tadjik aux yeux bleus, Tashkurgan, Chine

Paturage de moutons. Derriere, le Kongur veille. Karakul, Chine

Glacier du Muztag Ata, altitude 4800m

Muztag Ata au coucher du soleil, Karakul, Chine

Mahamatumar allant chercher des crottes de yack pour alimenter le poele

Berger ramenant ses moutons, Karakul, Chine

Kocfkan se rechauffant pres du poele, Karakul, Chine

Notre petit village

Jeune Kyrgyz aux abords du lac Karakul, Chine

Tadjik aux environs de Tashkurgan, Chine

Vieux Tadjik, Tashkurgan, Chine

Reflexion du Muztag Ata, Karakul, Chine

Nusurat qui trait les yacks devant la yourte, Karakul, Chine

Un yack en paturage devant le lac Karakul, Chine

Vieil Ouighour, village de Karakul, Chine

Yacks en paturage devant le Muztag Ata, Karakul, Chine

Mahamatumar, la tete dans les nuages

Chameaux en pâturage, Karakul, Chine

Ma petite famille, Karakul, Chine